Travailler en freelance, ce n’est pas simplement cocher une case administrative ou choisir entre un numéro de SIRET et une société unipersonnelle. C’est un positionnement. Une manière de penser sa vie professionnelle – et souvent sa vie tout court. À une époque où l’organigramme rigide n’est plus le seul horizon, être freelance, c’est refuser les modèles standards pour composer sa propre partition.
La tentation est forte. Il suffit d’ouvrir LinkedIn ou de discuter avec un ami pour entendre que “le freelancing, c’est la liberté”. Et c’est vrai. Mais c’est aussi un changement de paradigme. Le salariat repose sur une promesse implicite : la sécurité en échange d’une forme de renoncement – à l’autonomie, à la flexibilité, à la maîtrise du temps. Le freelance inverse cette logique. Il revendique l’autonomie, mais assume aussi l’incertitude. Il doit tout construire, tout défendre. Ses tarifs, ses délais, son réseau. Il est sa propre force commerciale, sa propre direction financière, son propre produit.
Choisir le freelancing, c’est donc bien plus qu’un choix fiscal. C’est une réorganisation complète du rapport au travail. Là où un salarié suit un agenda imposé, le freelance construit ses priorités. Il peut travailler à 6h du matin ou à 23h, s’il le souhaite. Mais cette liberté est souvent survalorisée : car dans la réalité, il travaille souvent aux deux.
Ce mode de travail implique aussi un autre rapport au client. Dans un contrat de prestation, il n’y a pas de lien de subordination, mais il y a une relation à entretenir. Là où le salarié peut se fondre dans l’inertie d’une structure, le freelance est évalué à chaque mission. À chaque ligne de code, à chaque brief, à chaque itération. Il est toujours “à l’essai”. Ce n’est pas un défaut, c’est un fait. Et cela change profondément la dynamique de travail : plus intense, plus exigeante, mais aussi souvent plus valorisante.
Sur le plan juridique, il existe plusieurs manières d’exercer une activité de freelance. Le régime de la microentreprise reste une porte d’entrée simple. Pas de comptabilité complexe, pas de TVA en dessous d’un certain seuil, des démarches administratives allégées. Mais ce régime atteint vite ses limites. Dès que le chiffre d’affaires grimpe, ou que l’on veut déduire ses frais, il faut basculer vers une société – EURL, SASU ou autre. À ce stade, on sort du “test” et on entre dans une logique entrepreneuriale structurée.
Le portage salarial est souvent vu comme une voie médiane. Il permet de facturer comme un indépendant tout en bénéficiant des protections d’un salarié. C’est un compromis utile pour ceux qui veulent de la sécurité (retraite, chômage, mutuelle…) sans renoncer à l’autonomie. Mais ce compromis a un coût : les frais de gestion et la lourdeur administrative sont plus élevés. Et, surtout, cela suppose de ne pas avoir besoin d’une image “d’entreprise”, ce qui peut être limitant dans certains secteurs.
D’un point de vue plus personnel, devenir freelance, c’est aussi s’exposer à une forme de solitude. Travailler seul chez soi, ne plus avoir de collègues, devoir prendre toutes les décisions soi-même… Ce n’est pas anodin. Et ce n’est pas fait pour tout le monde. Il y a ceux qui s’épanouissent dans cette autonomie radicale. Et il y a ceux qui, à force de visios silencieuses et de journées sans interaction, finissent par revenir vers une structure plus collective. Il faut être lucide sur ce point. Le freelancing n’est pas une version améliorée du salariat. C’est autre chose.
En définitive, devenir freelance, c’est accepter de vivre avec plus d’angles morts. On ne sait jamais vraiment combien on gagnera dans six mois. On doit gérer ses propres hausses d’activité, ses propres trous d’air. Il faut se former en continu, se rendre visible, vendre sans vendre. Mais ceux qui tiennent la distance construisent souvent une activité plus alignée, plus flexible, et surtout plus riche – humainement et professionnellement.
Le freelancing est donc bien un choix de statut. Mais c’est, plus encore, un choix de vie !